L’auditoire du Janson, sur le campus de l’Université Libre de Bruxelles, accueillait le mercredi 19 mars au soir des professionnels de la justice pour un procès fictif “Justice contre État belge”. Fictif sur la forme, ce procès était bien réel sur le fond: il visait à dénoncer les dysfonctionnements, les manques de moyens et la lenteur de la justice ainsi que les nombreuses violations de l’État de droit.
Le plus grand auditoire de l’ULB était transformé, pour un soir, en salle d’audience. “Le spectacle va commencer, je vous souhaite agréable. La cour !” Sur ces paroles prononcées par l’organisatrice de l’événement, Manuella Cadelli, les magistrats, la présidente et le procureur du roi ont fait leur entrée, suivis des accusés et de leur avocat, sous les applaudissements du public qui ferait office de jury.
“Choisir entre une rame de papier ou du papier toilette« . C’est l’exemple donné par Audrey Lackner, représentante de la justice, pour dénoncer le manque de moyens dont souffre le système judiciaire belge. Toute la soirée, les intervenants se succèdent pour témoigner devant le jury. C’est au tour de l’État belge, représenté par Jacques Englebert, qui opte pour une défense sur le ton de l’humour. Sur le même ton, une magistrate suggère de recourir à un crowdfunding pour financer la justice!
Dans son introduction, la magistrate Manuela Cadelli avait rappelé que le monde judiciaire a lancé son cri d’alarme il y a dix ans. Jeudi 20 mars 2025 marque en effet le dixième anniversaire de la “Journée de la Justice”. Durant cette période, certaines choses ont changé mais beaucoup trop lentement tandis que d’autres ont empiré. Plusieurs grands noms du monde judiciaire belge, notamment Jean De Codt, ancien président de la Cour de Cassation, Laurence Massart, première présidente de la Cour d’Appel de Bruxelles, et Jean-Pierre Buyle, ancien bâtonnier, ont abondé dans cette direction.
Des témoins ont été appelés à la barre, comme l’expert en économie belge Bruno Colmant et le procureur du roi de Bruxelles Julien Moinil. Ce dernier a témoigné du burn-out dû au manque de personnel, du nombre démesuré de jugements non exécutés (le plus ancien datant de 2021) et des délais excessifs des jugements. Mais le témoignage qu’on retiendra le plus, c’est celui de Nathalie Penning : “quand la cour de cassation cassera, je serai grand-mère”. Une phrase choc qui dénonce les arriérés judiciaires et la durée insoutenable du jugement.
À l’issue de ce procès et des échanges avec le public, 509 personnes ont été amenées à voter simultanément pour rendre le verdict. Appelé à se prononcer sur la culpabilité de Justice et de l’État belge, le jury a rendu une décision sans ambiguïté: l’État belge est jugé coupable à 96% tandis que la Justice est déclarée innocente à 77,9%. Toujours sur un ton humoristique, Jacques Englebert, qui incarnait l’État belge, est venu en tendant les poignets auprès du procureur en signe d’accord avec la décision.
Une pétition remise à la ministre de la Justice
Au lendemain de cette fausse condamnation de l’État belge, une délégation de 7 acteurs clés du secteur judiciaire a été accueillie, dans le bureau de la nouvelle ministre de la Justice, Annelies Verlinden. Parmi eux, la bâtonnière de l’Ordre francophone des avocats du barreau de Bruxelles, Marie Dupont, le président d’Avocats.be Stéphane Gothot, le premier président de la Cour de cassation, Eric de Formanoir, ainsi que le procureur général de Bruxelles, Frédéric Van Leeuw.
Le but de cette rencontre : la remise en main propre d’une lettre qui tire la sonnette d’alarme en faveur d’une justice indépendante, démocratique, accessible, efficace et humaine.
“La justice n’est pas seulement la justice de la lutte contre le terrorisme, le grand banditisme, et le trafic de drogue. Tout ça est essentiel, (…) mais il y a aussi la justice de tous les jours”, a déclaré Eric de Formanoir à l’issue de la rencontre.
Les demandes pour remettre sur pied la justice belge n’ont pas changé en 10 ans : des moyens budgétaires suffisants, mais aussi une véritable réforme du secteur pour assurer une meilleure gestion de la Justice avec les moyens existants.
La lettre remise à la ministre Verlinden est d’ailleurs accessible en ligne au public, afin de récolter les signatures des citoyens, qui subissent aussi le manque de moyens. Stéphane Gothot explique: “Nous (les avocats) sommes tous les jours confrontés au désarroi de nos clients qui, dans ce qui est souvent l’affaire de leur vie, attendent une solution judiciaire dans un délai raisonnable et qui ne l’obtiennent pas« .
La ministre de la Justice a fait des promesses de collaboration avec le secteur. Les membres de la délégation se montrent relativement satisfaits, même s’ils restent conscients que la prudence est de mise dans le contexte actuel. A l’heure du refinancement de la Défense, celui de la Justice pourrait être moins prioritaire.

