A 91 ans, le chercheur belge continue à vouloir faire progresser la science
Photo : Charlotte Simon
« J’ai toujours gardé l’amour des premières expériences scientifiques ». À 91 ans, Arsène Burny continue de mener une vie riche de découvertes et de dévouement. Chercheur, professeur et ancien président du Fonds de la Recherche Scientifique (FNRS), il a consacré sa carrière à la science et à l’éducation. Dans cet entretien, il revient sur son parcours et ses combats pour la recherche.
Qu’est-ce qui vous a motivé à devenir chercheur ?
Tout petit, je voulais comprendre les choses qui m’entouraient. J’étais fils d’agriculteur. Ma motivation était alors de comprendre ce qu’il se passait dans les champs de mes parents quand on les ensemençait en septembre, octobre, pourquoi en cas de gel, en hiver, tout mourait…
Durant votre carrière, y-a-t ’il une découverte dont vous êtes particulièrement fier ?
J’ai toujours gardé l’amour des premières expériences scientifiques que j’ai faites avec un collègue. Nous avions découvert le premier ARN messager. Il s’agit d’une molécule qui copie les instructions contenues dans l’ADN pour les transporter jusqu’aux « usines » » de la cellule, où elles sont utilisées pour fabriquer des protéines. À l’époque, mon collègue et moi étions deux jeunes chercheurs à l’Université de Bruxelles. Ensemble, nous sommes entrés dans le détail de la biologie moléculaire en isolant ce « messager », en allant du très vaste au très précis. Nous étions les premiers, au monde, à réussir à isoler cette molécule si importante.
Quelles aptitudes sont essentielles pour un chercheur ?
Les qualités requises aujourd’hui pour un chercheur sont les mêmes que celles attendues depuis toujours. C’est la persévérance, le courage, la lucidité et l’intelligence évidemment. Le fait de ne pas se décourager fût vrai en tout temps et est encore vrai aujourd’hui. Il faut toujours se dire : « j’ai raté, où est-ce que ça a pu clocher ? » Cela permet d’identifier tous les endroits où le chercheur n’a pas fait attention. En recherche, de telles situations se produisent assez fréquemment. La nouvelle génération est très impressionnante, notamment grâce aux moyens dont elle dispose aujourd’hui par comparaison à ceux que j’ai connus.
Vous parlez de persévérance, avez-vous le souvenir d’un moment où elle a payé ?
La persévérance a payé de multiples fois, parce qu’il ne faut pas s’imaginer le métier de chercheur comme étant facile, où on ne reçoit pas des gifles fréquemment. On se dit : « oh, voilà une molécule qui a l’air très intéressante ». On pense mettre la main sur un lingot d’or, et en fait, le lingot d’or se transforme en lingot d’argent ou d’argile. Il est important de rappeler aux jeunes chercheurs que la recherche fonctionne ainsi : des moments de grande réussite, comparables à des pics étroits qui montent très haut, suivis d’une déception. Cela fait partie du métier.
Il reste énormément à faire.
Arsène Burny

Vous êtes aussi une figure incontournable du Télévie. Comment êtes-vous arrivé dans cette aventure caritative et télévisuelle ?
En 1988, Jean-Charles De Keyser qui présentait le journal de RTL vient au Fonds National de la Recherche Scientifique, où un peu par hasard, j’y avais remplacé mon patron qui terminait sa carrière. Je suis ainsi devenu vice-président d’une commission de cancérologie. Je me souviens encore des paroles de Jean-Charles. « Je deviens directeur général d’une compagnie de télévision qui s’installe en Belgique francophone. Je cherche une émission qui soit populaire mais intelligente. Je ne veux pas un truc qui abrutisse les gens. Avez-vous une idée pour moi ? ». Un ministre nous dit alors : « une émission sur la recherche scientifique, ça n’intéresse personne ». De Keyser lui répond : « oui, mais ce qu’on n’a pas fait, c’est le faire savoir. Il faut non seulement faire les choses, il faut aussi les faire savoir. Nous, compagnie de télévision, nous allons les faire savoir ». En décembre 1988, la décision est prise de lancer le Télévie en avril 1989. C’est ainsi que, depuis 35 ans, je suis impliqué dans cette aventure.
Il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles.
Arsène Burny
Pourquoi la diffusion des connaissances scientifiques au grand public est-elle toujours essentielle aujourd’hui ?
Parce qu’il ne faut pas prendre les gens pour des imbéciles. Il est essentiel de s’adresser à eux dans un langage qu’ils comprennent. Sinon, ils se disent : « c’est un type qui veut nous faire croire quelque chose ». Toutes les disciplines sont explicables à condition de les maîtriser. Utiliser un langage simple et compréhensible par ton interlocuteur est indispensable, sinon tu perds ton temps.
Si vous deviez recommencer votre carrière, feriez-vous les choses différemment ?
Non, je pense que je ferais la même chose. Je pense ne pas avoir perdu mon temps à faire des études d’ingénieur agronome. Ce parcours m’a donné une vue très vaste de beaucoup de problèmes.
Quels sont les aspects de votre travail qui vous enthousiasment toujours ?
Aujourd’hui, j’ai 91 ans. Je ne suis plus capable de travailler en laboratoire, de demander de l’argent à qui que ce soit. D’ailleurs, je ne recevrais rien car on me dirait que je suis trop vieux (rires). Alors qu’aux États-Unis, à 80 ans, tu peux solliciter des fonds auprès du National Institute of Health et tu en obtiens. Si ton projet est solide, personne ne te demande ton âge, ils s’en moquent. Ainsi, aujourd’hui, je me consacre à la lecture des meilleures revues scientifiques. J’analyse les informations essentielles que j’envoie ensuite à mes contacts travaillant au Télévie, qui disposent de bien moins de temps que moi pour se tenir informés des avancées dans le domaine. Or, il est crucial de rester informé pour ne pas prendre des directions qui manifestement ne sont pas bonnes.
Vous n’avez pas envie de prendre votre retraite ?
Non, non ! Il y a des tas de choses qu’on ne maîtrise pas. La médecine est pleine de maladies contre lesquelles on ne sait pas faire grand-chose, de cancers qui sont encore mortels. Quand un médecin vous dit que vous avez une tumeur du cerveau, dans 9 cas sur 10, c’est mortel. Il reste énormément à faire.