Black Eagle : le réseau albanais qui inondait la Belgique de cocaïne

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13,4 millions d’euros: ce sont les gains estimés d’un réseau présumé de narcotrafiquants albanais, qui a distribué de la cocaïne à travers toute l’Europe, depuis la Belgique, durant plusieurs années. En première instance, le tribunal correctionnel de Bruxelles avait condamné 35 des 40 prévenus, et les cerveaux présumés du réseau avaient écopé de neuf ans de prison. Une peine trop clémente pour le paquet fédéral, qui a interjeté appel.

Menottés, guidés et surveillés par des policiers, trois détenus pénètrent la salle du tribunal l’un à la suite de l’autre. Soupçonnés d’être les cerveaux d’un vaste réseau de trafic de drogue, les trois hommes s’asseyent face au président pour le troisième jour de leur procès en appel. Ils écoutent les interrogatoires de leurs complices qui, eux, sont libres n’étant impliqués que de plus loin dans cette affaire. Ils risquent une peine plus lourde que l’emprisonnement de neuf années auquel ils ont été condamnés en première instance. Le procès, qui ne fait que débuter, devrait durer deux mois, en raison de la densité du dossier. Conséquence : la justice belge est chamboulée et tout prend beaucoup plus de temps.

Des gangsters en col blanc

Le réseau, actif dans toute l’Europe, était, et c’est le moins que l’on puisse dire, très bien organisé. Selon Guillaume Lys, l’avocat de l’un des cerveaux du cartel, cette organisation criminelle avait un seul et unique but : l’argent. A l’en croire, ils n’auraient pas eu recours à la violence comme d’autres gangs de narcotrafiquants. “Ce n’était pas un trafic violent. Eux, ils étaient surtout là pour le business.”

La cocaïne entrait en Belgique, dissimulée dans du ciment, du charbon, et même de la pulpe de fruits, via les ports d’Anvers et de Beveren. Peu avant l’entrée des porte-conteneurs dans ces ports belges, le réseau passait déjà à l’action. Pendant que des observateurs surveillaient, à distance, l’entrée des bateaux dans les eaux belges, des extracteurs se rendaient en canoë pneumatique sur les cargos concernés par le trafic. Leur mission était de récupérer la cocaïne avant les contrôles douaniers.

En pleine action, les cerveaux du groupe partageaient leurs directives de travail via la messagerie cryptée Sky ECC. Selon les conclusions de l’enquête, l’un des chefs du réseau, Stefane (nom d’emprunt), faisait également passer ses consignes via son épouse lorsqu’il était déjà en prison. À l’occasion de l’audience du jour, cette dernière a reconnu les faits. Elle aurait agi par “besoin d’argent”

La Belgique, centre de tri à ciel ouvert

Dans les laboratoires du réseau, dans la majorité des cas de simples garages transformés, les petites mains étaient chargées de traiter la matière stupéfiante avec de l’acétone. Ce solvant chimique, régulièrement utilisé par les dealers du monde entier, permet d’éliminer les impuretés et d’affiner la drogue avant sa distribution.

C’est d’ailleurs la découverte d’une grande quantité d’acétone dans un garage situé à Evere, en région bruxelloise, qui a mis la puce à l’oreille de la police. Après quelques fouilles supplémentaires, les forces de l’ordre ont également mis la main sur une grande quantité de cannabis. Au cours des mêmes perquisitions, la police a aussi saisi un volumineux tonneau par lequel 600 kilos de poudre blanche avaient transité. Assez d’indices pour permettre le lancement d’une vaste enquête, qui a débuté en septembre 2020.

Sky ECC, une messagerie d’un nouveau genre

Afin de communiquer le plus discrètement possible, les membres de l’organisation criminelle utilisaient le réseau de communication crypté Sky ECC. Cette messagerie chiffrée ultra-sécurisée était utilisée principalement par des criminels pour communiquer à l’abri des écoutes policières. Elle fonctionnait via des téléphones, sans caméra et avec un micro limité, et les communications étaient étaient chiffrés de bout en bout, rendant les messages en théorie quasiment impossibles à intercepter. En mars 2021, toutefois, différentes autorités européennes ont réussi à pirater le système et à intercepter des millions de messages, permettant une vague massive d’arrestations et la chute de nombreux réseaux criminels. Un important procès s’est conclu en décembre dernier par la condamnation à de lourdes peines.

Dans le dossier Black Eagle, qui constitue un autre volet de l’enquête, le procès en appel, est conséquent. On parle d’un dossier de 180.000 pages, soit autant que celui consacré aux attentats de Bruxelles. Un volume à l’image de la complexité du réseau que les trafiquants avaient réussi à mettre en place.

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