Manque de magistrats, manque de moyens, surcharge de travail menacent l’État de droit
Crédit photo: Bastien Hanot
“On a pas le temps”. Ce lundi 24 mars, le procès Black Eagle se poursuit devant la Cour d’appel de Bruxelles. Un nouveau méga-dossier qui ralentit considérablement le fonctionnement de la Justice, dont les besoins sont criants. Manque de magistrats, manque de moyens, surcharge de travail menacent l’État de droit.
Le dossier “Black Eagle” fait partie des plus grandes affaires liées au narcotrafic traitées par la Justice bruxelloise ces cinq dernières années. L’enquête avait commencé en septembre 2020 suite à la découverte de plusieurs kilos de cannabis et de grandes quantités d’acétone dans un garage bruxellois.
Au cours des deux prochains mois, 35 prévenus comparaitront devant les magistrats de la quatorzième chambre de la Cour d’appel de Bruxelles. Ces deux mois ne sont que la partie visible de l’iceberg. Préparer un tel procès requiert d’analyser des “cartons” comportant des centaines de pages, explique un magistrat, que nous avons interrogé au Palais de Justice. Un magistrat aguerri aurait besoin d’au moins un jour pour traiter un seul carton. Or, le procès Black Eagle en comporte 150! Après l’analyse des cartons, comptez un mois et demi pour rédiger l’arrêt. Résultat : toutes les autres affaires prévues entre novembre 2024 et juin 2025 devant la quatorzième chambre du tribunal ont été reportées.
Les moyens dédiés à la Justice ne suivent pas face au nombre d’affaires. D’après la dernière étude du Collège des cours et des tribunaux, un juge travaille en moyenne 52,8 heures par semaine. Le chiffre monte à 54 heures pour les Cours d’appel et tribunaux de première instance. “Je ne connais pas un magistrat qui ne travaille pas 6 jours sur 7”, nous glisse l’un d’entre eux. Toujours d’après la même étude, il faudrait 43% de juges supplémentaires pour traiter les nouvelles affaires dans les meilleurs délais. La Cour d’appel de Bruxelles est la plus touchée par ce manque de magistrats, au point que des magistrats du civil ont dû être attribués aux méga-dossiers correctionnels. Par effet domino, la Cour d’appel de Bruxelles a annoncé la suspension temporaire de l’activité d’une chambre civile.
“Si on ne réagit pas maintenant, je ne mise pas sur une justice efficace dans 20 ou 30 ans”
Pour les magistrats et les greffiers que nous avons rencontrés, le constat reste le même : trop de dossiers, trop peu de juges, trop peu de moyens. Les tribunaux sont débordés, la Justice est lente. Or, une Justice lente, c’est une Justice fragilisée. Quand il faut des mois, voire des années, pour qu’un jugement soit rendu, c’est l’État de droit qui vacille. Ce principe démocratique repose, notamment, sur la capacité de chacun à faire valoir ses droits dans un délai raisonnable. Pour les victimes, l’attente d’une décision judiciaire, surtout pour des affaires de violences ou de préjudices graves, devient une épreuve supplémentaire, témoigne un avocat, croisé en marge du procès Black Eagle. Cette lenteur joue également sur la crédibilité même du système judiciaire, envers lequel peut s’installer la méfiance des citoyens. “Devra-t-on bientôt renoncer à faire appel ? ”, s’interroge-t-il.
Le constat n’est pas neuf, mais, les réformes nécessaires pour alléger la charge des tribunaux se font attendre, au grand dam de la magistrature. Le 19 mars dernier, se tenait le procès fictif “Justice contre État belge” qui dénonçait les problèmes découlant du sous-financement du secteur judiciaire. Cela devient urgent, soupire un juge rencontré au Palais de Justice. “Si on ne réagit pas maintenant, je ne mise pas sur une justice efficace dans 20 ou 30 ans”.