Depuis le 14 septembre, de nombreux élèves français narguent les interdits vestimentaires des lycées avec un seul mot d’ordre : liberté !
Photo : Pauline Todesco
Fédérant des millions de jeunes avec des hashtags comme #lundi14septembre, le mouvement excite la sphère médiatico-politique française, qui en a déjà fait un sujet de société. La contestation envahit jusqu’aux rues et s’étend à toute la communauté francophone. A Paris, quel est le ressenti des élèves ?

En marchant dans le quartier de Vavin, de nombreux élèves se pressent hors des murs pour se retrouver, sous le soleil de la dernière semaine d’été. Ils brûlent d’histoires à se raconter, de rires à échanger, de cigarettes à partager. Parler du 14 septembre, c’est piquer instantanément leur attention. Ils et elles n’ont pas plus de quinze ans mais s’offusquent déjà de différentes anecdotes dans leur univers scolaire. Être envoyés au fond de la classe parce que, en levant le bras, leur tee-shirt a dévoilé un nombril. Sous 30 degrés, être menacés de renvoi pour refuser de porter un pull. S’entendre dire « ta tenue déconcentre les garçons”.
« Elle sait comment gagner des voix ; regardez comment elle est habillée ! »
Sara

“Elle sait comment gagner des voix ; regardez comment elle est habillée !” sont les mots de la professeure de Sara après son discours aux élections de délégués. “Ça m’a vraiment fait mal parce que j’ai été déçue de cette prof que j’estimais beaucoup. J’ai trouvé ça ridicule qu’à treize ans on puisse me réduire à ça, me sexualiser en disant que j’aurais plus de voix parce que j’avais une tenue qui plaît aux hommes, parce qu’on voyait cinq centimètres de mon ventre”. Quand ils ne sont pas moqueurs, les mots peuvent être franchement obscènes, comme ceux que Louise rapporte d’une ancienne professeure “tu sais ton ventre pour les garçons, ça peut-être compliqué, ils vont avoir envie de te toucher”. Ces propos semblent participer, tout en sous-entendus, à la culture du viol. Comme lorsque Laura raconte les propos tenus dans son lycée “ils ne vont jamais dire ‘votre tenue justifie le viol’ mais ‘vous savez très bien ce qu’un décolleté suscite”.

« Tu sais, ton ventre, pour les garçons, ça peut être compliqué, ils vont avoir envie de te toucher »
Louise
Le 15 septembre, un professeur interpelle Laura parce que sa robe montre “trop de peau”. En désignant la chemise qu’elle porte à la main, il a ajouté « tu pourrais utiliser ton cerveau pour la remettre« . Laura poursuit, la gorge serrée, les yeux embués “Il m’a crié dessus, m’a menacé en me demandant si je voulais être la prochaine fille renvoyée chez elle. Il m’a fait peur”. Ce témoignage illustre la violence psychologique, démesurée pour une question de la tenue vestimentaire.
Entre règlements et discours : la nébuleuse
D’après la loi française, le règlement concernant la tenue vestimentaire appartient à chaque établissement. Ces derniers n’y consacrent souvent que quelques mots “décente, correcte, et adaptée à la scolarité”. Autrement dit, chacun peut interpréter les textes avec plus ou moins de zèle. Au-delà de ce flou, les élèves parlent d’un “discours foutage de gueule”, qui les énerve quand il ne les fait pas rire. Au lycée Montaigne ou Bert, on peut ainsi croiser des affiches marquant d’une croix certains vêtements, avec les mots “une tenue adaptée est attendue…”, pour trouver quelques mètres plus loin d’autres affiches déclarant “je m’habille comme je veux”.
Filles, garçons, même combat
Face à une communication avec les adultes parfois enlisée, ici la résistance s’organise à travers une fière solidarité entre garçons et filles. “Je n’ai jamais vu une lesbienne harceler une fille parce qu’elle porte un crop-top, donc si les lesbiennes peuvent se contrôler, à priori les mecs hétéros aussi !” me lance un jeune lycéen. Comme lui, de nombreux garçons se sont insurgés aux côtés des filles depuis le début du mouvement. Ils viennent par exemple au lycée le tee-shirt noué ou découpé. Cette prise de conscience semble donc moins leur venir des adultes que d’amis engagés. Juliette est heureuse dès qu’elle parle de ses amitiés masculines : “aujourd’hui, ils n’ont aucun problème avec rien. Ils ont des valeurs féministes, et moi je me dis qu’au moins j’ai fait ça, cinq, six mecs qui pensent bien”.

Le vent du changement
Ainsi dans ces lycées, la colère des premiers jours semble dissipée. Place à la joie de se soutenir, de se comprendre et pour certains aussi, la joie émancipatrice d’exprimer cette liberté pour la première fois. Même les participants les plus réticents se sont ravisés ; la peur du début de semaine est devenue un ras-le-bol. Un long sweat pour seule tenue, le sourire aux lèvres, Léa confie que, selon elle, le plus grand changement depuis le 14 septembre concerne les élèves. “Il y en a beaucoup qui s’en foutaient un peu avant, et qui disent maintenant que ce n’est pas normal. On est plus ensemble, on est hyper solidaires”.

Si au niveau global rien n’a changé, cette solidarité a quand même permis quelques assouplissements. Le 11 septembre, au lycée Montaigne, la proviseure avait annoncé que les filles ne pourraient plus venir ni en débardeur, ni en crop-top, ni en jupe. Dans le week-end, au vu de l’amplitude du mouvement, elle a retiré cette mesure. Pour les établissements les plus stricts, comme le lycée Sainte Geneviève, même certains tee-shirts n’auraient pas eu droit de cité avant le début du mouvement. Alors si la victoire est parfois timide, elle reste révolutionnaire aux yeux de ceux qui en étaient si loin quelques jours plus tôt.

Que l’on parle de déception, de choc, de peur et au-delà d’une “liberté énorme perdue à cause de gens mal éduqués”, c’est l’atteinte personnelle qui fait mal, l’association d’un vêtement ou d’un corps à une faute morale. Les élèves sont d’accord : l’indécence n’est pas dans un crop-top ou un short mais dans le regard de ceux qui y voient une “déconcentration” ou la sexualisation d’un corps qui n’a aucune intention de l’être. “Plus on me fait des remarques, plus je vais avoir envie de le faire, de faire pire ! Moi demain j’arrive en sous-tif, il n’y a pas de problèmes !” lance Louise en partant, un air de défi sur le visage. Jusqu’ici, ce bras de fer ne semble qu’attiser la volonté de la jeunesse de revendiquer sa liberté de corps, individuelle et totale.